La guerre des paysans est née près de Schaffhouse (Bade), lorsque des paysans refusent à leurs seigneurs une corvée jugée abusive. Ils obtiennent le soutien du curé de Waldshut, converti à la Réforme, et signent un traité d’assistance mutuelle le 15 août 1524, conciliant les objectifs sociaux et religieux. La révolte se développe durant l’hiver en Souabe, en Franconie, en Alsace et dans les Alpes autrichiennes. Les paysans prennent des châteaux et des villes (Ulm, Erfurt, Saverne). On estime que près de 300.000 paysans se révoltèrent et que 100.000 furent tués.
Les paysans assurent l'essentiel du maintien du système féodal. Maisons princières, noblesse, fonctionnaires, bourgeois et clergé vivent de la force de travail des paysans. Mais le nombre des bénéficiaires ne cesse d'augmenter, de même que les taxes, impôts et contributions : grande dîme, petite dîme sur les revenus et bénéfices, loyers, douanes, intérêts, successions, corvées...
Les problèmes économiques, les mauvaises récoltes et la pression des seigneurs terriens, réduisent de plus en plus de paysans à la dépendance, puis à un quasi servage, provoquant autant de problèmes de fermage, et de corvée.
S'il n'est pas simplement ignoré, le vieux droit oral est librement interprété par les propriétaires terriens. On exproprie des communes établies depuis des siècles, on réduit ou abolit des droits communautaires de pâture, d'abattage de bois, de pêche, de chasse...
La haute noblesse ne s'intéresse aux changements de condition de vie des paysans que lorsque ses avantages et privilèges sont menacés. La basse noblesse, en déclin et en perte de prestige, mène ses propres mutineries. De nombreux petits nobles tâchent de survivre en chevaliers pillards et accentuent le fardeau des paysans.
Le clergé s'oppose à tout changement. Le catholicisme est un pilier du système féodal et les organismes religieux sont eux-mêmes organisés sur ce schéma. Les recettes de l'Église proviennent essentiellement des dons et offrandes, de la vente d'indulgences et de la dîme.
L'Église connaît des dysfonctionnements considérables ; beaucoup de religieux, surnommés péjorativement "curetons" (Pfaffen), mènent une vraie vie de débauche, en tirant profit des taxes, dons et héritages des riches et des pauvres. À Rome, l'accès aux charges et aux dignités passe par le népotisme, le clientélisme et la corruption. Les papes se conduisent en chefs de guerre, en maîtres d'œuvre et en mécènes des beaux arts.
Cette situation essuie les critiques de Hans Böhm, Girolamo Savonarola, puis de Luther. Zwingli, à Zurich, et Calvin, à Genève, soutiennent que chaque être humain peut trouver son chemin vers Dieu et le salut de son âme, sans l'intermédiaire de l'Église. Ils ébranlent ainsi les prétentions absolutistes de l'Église catholique et valident les critiques paysannes : le clergé, oublieux de sa doctrine, est de trop.
La critique de Luther est plus radicale, dans son écrit sur la liberté d'un chrétien (1520) : "Un chrétien est le maître de toutes choses, et le sujet de personne". Cette argumentation et sa traduction en allemand du Nouveau Testament, en 1522, sont les déclics décisifs pour le soulèvement de la population des villages. Les gens simples peuvent désormais mettre en cause les prétentions de la noblesse et du clergé, jusque là justifiées par la volonté de Dieu. La terrible situation des paysans n'a aucun fondement biblique et les réductions de l'Ancien Droit par les propriétaires fonciers est en contradiction avec le véritable droit divin : "Dieu fait pousser plantes et animaux, sans intervention humaine, et pour l'ensemble des hommes". Chacun a désormais la possibilité de revendiquer les mêmes droits que la noblesse et le clergé.
La négociation des douze articles est le pivot de la guerre des paysans : leurs revendications y sont pour la première fois formulés de manière uniforme et fixées par écrit. Jamais auparavant les paysans ne s'étaient montrés solidaires contre les autorités.
-
Chaque communauté paroissiale a le droit de désigner son pasteur et de le destituer s'il se comporte mal. Le pasteur doit prêcher l'Evangile, précisément et exactement, débarrassé de tout ajout humain. Car c'est par l'Écriture qu'on peut aller seul vers Dieu, par la vraie foi.
-
Les pasteurs sont rémunérés par la grande dîme (impôt de 10%). Un supplément éventuel peut être perçu pour les pauvres du village et pour le règlement de l'impôt de guerre. La petite dîme est à supprimer, parce qu'inventée par les hommes, puisque le Seigneur Dieu a créé le bétail pour l'homme, sans le faire payer.
-
La longue coutume du servage est un scandale, puisque le Christ nous a tous rachetés et délivrés, sans exception, du berger aux gens bien placés, en versant son précieux sang. Par l'Écriture, nous sommes libres et nous voulons être libres.
-
C'est contre la fraternité et contre la parole de Dieu que l'homme pauvre n'a pas le pouvoir de prendre du gibier, des oiseaux et des poissons. Car quand le Seigneur Dieu a créé les hommes, il leur a donné le pouvoir sur tous les animaux, l'oiseau dans l'air, comme le poisson dans l'eau.
-
Les seigneurs se sont appropriés les bois. Si l'homme pauvre a besoin de quelque chose, il doit le payer au double de sa valeur. Donc, tous les bois qui n'ont pas été achetés reviennent à la communauté, pour que chacun puisse pourvoir à ses besoins en bois de construction et en bois de chauffage.
-
Les corvées, toujours augmentées et renforcées, sont à réduire de manière importante, comme nos parents les ont remplies, uniquement selon la parole de Dieu.
-
Les seigneurs ne doivent pas relever les corvées sans nouvelle convention.
-
Beaucoup de domaines agricoles ne peuvent pas supporter les fermages. Des personnes respectables doivent visiter ces fermes, les estimer et établir de nouveaux droits de fermage, de sorte que le paysan ne travaille pas pour rien car tout travailleur a droit à un salaire.
-
Les punitions par amende sont à établir selon de nouvelles règles. En attendant, il faut en finir avec l'arbitraire et revenir aux anciennes règles écrites.
-
Beaucoup se sont appropriés des champs et des prés appartenant à la communauté : il faut les remettre à la disposition de la communauté.
-
L'impôt sur l'héritage est à éliminer intégralement. Plus jamais veuves et orphelins ne doivent se faire dépouiller ignoblement.
- Si quelque article n'est pas conforme à la parole de Dieu ou se révèle injuste, il faut le supprimer. Il ne faut pas en établir davantage, qui risque d'être contre Dieu ou de causer du tort au prochain.
Les conséquences sont rudes pour les insurgés ; 100.000 paysans trouvent la mort et les survivants sont désormais des hors-la-loi. Les meneurs sont condamnés à mort, les participants craignent les peines des souverains. Beaucoup de jugements parlent de décapitations, d'yeux arrachés, de doigts coupés et d'autres mauvais traitements. Des communes entières sont privées de leurs droits pour avoir soutenu les paysans. Les juridictions sont partiellement perdues, les fêtes sont interdites, les fortifications urbaines rasées. Le soir, la fréquentation des auberges villageoises n'est plus autorisée.
Pourtant, la guerre des paysans a des répercussions positives dans certaines régions et la situation des paysans s'améliore nettement, puisque les impôts ne sont plus à verser uniquement aux propriétaires terriens mais aussi au souverain.
Les conséquences socio-économiques de la perte de 100.000 paysans, ou 130.000 selon d'autres estimations, sont considérables et préparent le marasme de la Guerre de Trente Ans.