L'Entre-Deux-Guerres en Alsace

La nouvelle annexion de l'Alsace par la France ne se passe pas aussi bien que l'aurait souhaité le pouvoir parisien, induit en erreur par l'agitation francophile d'une fraction minoritaire de la population alsacienne. Sur recommandation de Hansi, entre autres, sont instaurées dès 1919 des commissions de triage, chargées de trier les Alsaciens selon leur ascendance et d'attribuer des cartes d'identité sélectives...

La Politique d'Assimilation La Seconde Guerre Mondiale L'Alsace au temps de la Seconde Guerre Mondiale

Le retour des départements dans le giron de la France n'est pas facile pour la population. Charles Spindler évoque ces mots, prononcés en 1918 par un Français "de l'intérieur" à un Alsacien trop enthousiaste : "Vous avez été jusqu'ici mal gouvernés et bien administrés, attendez-vous désormais à être mal gouvernés et encore plus mal administrés." La réalité est pire encore, dégradant fortement l'image de la France au sein de la population. Une des premières mesures consiste à diviser la population en fonction de ses origines :

Ce tri ne tient absolument pas compte du sentiment de l'individu, son patriotisme pouvant être totalement indépendant de ses origines. Quelqu'un a ainsi eu l’idée de placer une carte B dans la main de la statue de Jean-Baptiste Kléber, le grand héros alsacien : il n’aurait pas en effet mérité plus.

Malgré la chute brutale de la monnaie allemande, les titulaires d'une carte A bénéficient de l'ancien taux de change, soit 1,25 F pour 1 Mark, alors que ceux qui possèdent une carte D ne reçoivent qu’un peu plus de 0,80 F pour la même somme.

Dès l'armistice, de nombreux fils d'émigrants de 1872 reviennent s'installer en Alsace-Lorraine et considèrent parfois d'un mauvais oeil ceux qui sont restés. Environ 200.000 Allemands sont renvoyés Outre-Rhin jusqu'à la signature du traité de Versailles mais la moitié d'entre eux pourra revenir par la suite, grâce à la pression exercée par les États-Unis. Cette réintégration sera cependant dénoncée par les francophiles Hansi et Émile Hinzelin, qui qualifient de "Français de Wilson" ces expulsés rentrés au pays, et leur attribuent la responsabilité des troubles autonomistes.

La Francisation de l'Enseignement La Seconde Guerre Mondiale L'Alsace au temps de la Seconde Guerre Mondiale

L'épuration du corps enseignant apparaît aux gouvernants français comme une urgence. Du jour au lendemain, les maîtres doivent faire cours en français, sous peine de perdre leur emploi. Pour remplacer le personnel révoqué, on fait appel à des enseignants "de l'Intérieur", souvent inexpérimenté et ne connaissant rien à l'Alsace ni à l'alsacien. Plus grave encore, dans un pays où les convictions religieuses apparaissent à chacun comme inséparables de son identité, certains instituteurs se proclament hautement laïcs, voire athées.

Les premières victimes sont évidemment les élèves, et surtout les plus pauvres. Dans les milieux aisés, on avait en effet conservé l'usage du français même si, pendant la guerre, on se contentait de l'éviter en public. Mais dans les écoles de campagne on frise à la catastrophe : la plupart des maîtres sont incapables d'enseigner une langue qu'ils connaissaient à peine à des élèves qui l'ignorent complètement. Et si les élèves s'en tirent mieux, le résultat n'en est que pire car ils se moquent ouvertement de leur instituteur. "Je vous interdis de rier ! (sic)" hurlait un malheureux à sa classe déchaînée, à laquelle il fournissait ainsi le plus puissant motif de rire.

À la fin des années vingt les apprentis candidats à des examens professionnels sont interrogés en alsacien. Incapables désormais de s'exprimer en allemand, ils n'arrivent toujours pas à parler français.

Alsace-Moselle et Laïcité La Seconde Guerre Mondiale L'Alsace au temps de la Seconde Guerre Mondiale

L’offensive laïque de 1924 ne fait que troubler inutilement l'Alsace-Lorraine, et le projet est rapidement abandonné. Mais après la victoire du Front Populaire, en 1936, Blum décide de revenir sur la politique d’assimilation.

Il commence par prolonger la scolarité obligatoire jusqu’à quatorze ans par les lois des 9 et 11 août 1936. Cette mesure est bien accueillie en Alsace-Lorraine ; déjà appliquée depuis 1871, elle s'étend simplement aux filles et donne à tous les enfants la possibilité de se présenter au Certificat d’Études.

Mais le 22 octobre 1936 les décrets d’application prévoient, dans le cas de l’Alsace-Lorraine, une prolongation d’un an pour les garçons. Les élus protestent auprès du gouvernement, en lui représentant les conséquences néfastes d’une pareille mesure, particulièrement en Moselle où la barrière des Vosges n’existe pas : un petit Nancéien de quatorze ans pourrait ainsi entrer en apprentissage à Metz, tandis que le petit Messin du même âge devrait attendre une année de plus et trouverait la place prise à l’issue de sa scolarité.

Dans sa lettre du 30 janvier 1937 au sénateur Eugène Muller, Blum reconnaît à demi-mot qu’il s’agit d’un chantage : étant donné que les élèves alsaciens-lorrains ont des cours d’allemand et de religion, il est normal de leur imposer une année supplémentaire pour leur permettre de tout assimiler. Il suffit dont de supprimer ces cours pour ramener la scolarité obligatoire à quatorze ans.

Le 21 juin 1937, Blum démissionne et le Conseil d’État annule les décrets contestés à la fin de l’année. L’offensive n'a été qu’un coup d’épée dans l’eau mais la crédibilité de la France est une nouvelle fois atteinte en Alsace-Lorraine.