Le droit local est un régime juridique créé en 1919, qui s'applique dans les trois départements de l'Est (Bas-Rhin, Haut-Rhin et Moselle). Ils n'ont pas d'unité géographique ou linguistique mais une histoire commune. Le terme exact employé après la première guerre mondiale est celui de droit local "alsacien-mosellan" et non "alsacien-lorrain" utilisé par les allemands.
En 1648, les traités de Westphalie, signés après la guerre de Trente Ans, ont rattaché l'Alsace et les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun au royaume de Louis XIV. La guerre de 1870 opposa la France de Napoléon III au royaume de Prusse et l'un des enjeux fut la reconquête de l'Alsace. Après la défaite française, le traité de Francfort en 1871 entérina la cession de l'Alsace-Lorraine au nouvel Empire allemand. En 1911, l'Alsace-Lorraine se dote de sa propre Constitution et bénéficie d'une autonomie administrative. Pendant les 47 années d'annexion, le droit français fut, dans beaucoup de domaines, progressivement remplacé par les lois d'Empire allemandes, ainsi que par des dispositions locales émanant d'instances législatives propres au "Reichsland" d'Alsace-Lorraine.
Lors du retour de l'Alsace-Lorraine à la France en 1918, le législateur a favorisé une introduction par matières, ainsi que le maintien de dispositions de droit local inconnues du droit français ou reconnues techniquement supérieures à la législation française équivalente.
A partir des années 1970, des pans entiers ont disparu du fait de l'évolution considérable du droit français, s'inspirant d'ailleurs parfois du droit local. Mais il reste encore des domaines comme le Livre foncier, où la législation spécifique paraît toujours préférable. De plus, l'idée d'un droit local est bien acceptée et n'est pas remise en cause. Il s'agit à présent de veiller à faire évoluer les règles locales qui, n'ayant pas ou guère été modifiées depuis plusieurs décennies, nécessitent parfois une mise à jour.
La législation locale comporte actuellement quatre types de dispositions :
- des dispositions d'origine française, maintenues en vigueur par les autorités allemandes en 1870 (et abrogées par les autorités françaises durant la période de l'annexion), par exemple le Concordat de 1801
- des dispositions d'origine allemande, applicables dans l'ensemble du "Reich", par exemple le Code local des Professions (loi du 26 juillet 1900)
- des dispositions propres au "Reichsland" d'Alsace-Lorraine, adoptées par les organes législatifs compétents, par exemple le régime local de la chasse (loi du 7 février 1881) ou l'aide sociale (loi du 30 mai 1908 sur le domicile de secours)
- des dispositions françaises intervenues après 1918, mais applicables aux seuls départements du Rhin et de la Moselle, par exemple : la loi du 6 mai 1991 introduisant, dans le Code des assurances, des dispositions particulières aux départements du Bas-Rhin, Haut-Rhin et Moselle.
Durant les premières années du retour des trois départements à la France, une très grande partie des dispositions législatives et réglementaires qui y étaient applicables relevaient du droit local. Le processus d'unification législative, d'abord intense, puis beaucoup moins systématique n'a laissé subsister à l'heure actuelle que des pièces éparses d'importance variable et de contenu très disparate, dans un cadre juridique très largement dominé par le droit général applicable à l'ensemble du territoire
Les principales matières, où subsistent des dispositions de droit local sont les suivantes :
Les Cultes :
- Séparation des Eglises et de l'Etat : la loi du 9 décembre 1905 n'est pas applicable à l'Alsace-Moselle, qui reste régie par la loi du 18 Germinal an X (8 avril 1802), comprenant le Concordat de 1801 et les Articles Organiques des cultes catholique et protestant. Les cultes reconnus sont le culte catholique, le culte protestant, la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine et le culte israélite.
- Rétribution des ministres du culte : elle est assurée par l'Etat et les collectivités territoriales participent au financement du culte paroissial.
- Enseignement religieux : il est obligatoire dans les écoles primaires (loi du 15 mars 1850 dite loi Falloux, décret du 3 septembre 1974), ainsi que dans les établissements secondaires et techniques, une possibilité de dispense est prévue.
- Rattachement du service des cultes au Ministère de l'Intérieur, avec un sous-préfet à Strasbourg chargé du Bureau des Cultes des trois départements.
L'Artisanat :
- Régime juridique : il est régi par le Code local des Professions ("Gewerbeordnung", loi d'empire du 26 juillet 1900).
- Définition : Une activité est artisanale, non pas lorsque l'entreprise qui l'exerce est de petite dimension (droit général : 10 salariés maximum), mais parce que le travail y est réalisé selon des méthodes non industrielles et en ayant recours de façon prépondérante à des salariés professionnellement formés.
- Regroupement des artisans en corporations, libres ou obligatoires, dont la mission première est d'assurer la défense des intérêts professionnels de leurs membres, qui dépendent de Chambres de Métiers chargées de représenter les intérêts généraux de l'artisanat. A la différence des syndicats, les corporations représentent à la fois les employeurs et les salariés sur une circonscription déterminée.
- Apprentissage : il est soumis à un régime différent, il est beaucoup plus développé en Alsace-Moselle et est sanctionné par un diplôme spécifique : le Brevet de Compagnon.
Le Travail :
- Le maintien de la rémunération en cas d'absence : les salariés du secteur privé ont droit pour un certain temps au maintien intégral de leur salaire, sans délai de carence et sans condition d'ancienneté, lorsque la cause de l'absence n'est pas due à leur fait et qu'elle empêche réellement l'exécution du contrat de travail.
- Le repos dominical et les jours fériés : dans l'industrie, il est interdit d'employer des salariés le dimanche, sauf dérogations ; dans le commerce la loi autorise en principe une ouverture dominicale pour une durée maximale de 5 heures, mais l'existence de statuts locaux aboutit à une interdiction quasi-générale d'ouverture. Des dérogations sont également possibles ; deux jours fériés légaux supplémentaires : le Vendredi Saint et la Saint-Étienne (le 26 décembre).
- La clause de non-concurrence : l'employeur a l'obligation de payer aux commis commerciaux, une indemnité spéciale, s'il entend leur interdire de lui faire concurrence après leur départ ; cette indemnité, égale à la moitié du salaire, est due pendant toute la durée de l'interdiction. En l'absence de contrepartie financière la clause de non-concurrence est nulle.
La Législation Sociale :
- Le régime local de sécurité sociale : les assurés bénéficient de prestations spécifiques financées par des cotisations plus élevées à leur charge exclusive. Depuis 1995, le régime local d'assurance maladie est géré par un organisme autonome, l'instance régionale de gestion dont le siège est à Strasbourg. Il existe également des règles particulières en matière d'assurance accidents agricoles.
- L'aide sociale : figurant dans le Code de l'action sociale et des familles, la loi locale du 30 mai 1908 instaure à la charge des communes une obligation de secours aux personnes sans ressources domiciliées sur leur territoire. Actuellement, les personnes exclues du champ d'application du Revenu Minimum d'Insertion (RMI), notamment celles âgées de 16 à 25 ans, peuvent toujours bénéficier de l'aide sociale de droit local. Chaque commune fixe un plafond de ressources en-deça duquel l'aide est accordée, elle choisit également les formes de l'aide (en espèces, en nature, logement, nourriture, etc.)
La Chasse :
- Droit de chasse : dans la conception allemande, le gibier est un patrimoine à gérer et est réservé à l'adjudicataire, qui devra payer à la commune le loyer de la chasse et respecter un plan de chasse. Pour pouvoir chasser, il faut être soit adjudicataire, soit invité par ce dernier. Les propriétaires fonciers peuvent décider d'abandonner à la commune le produit de la location. Depuis la réforme du droit local de la chasse, intervenue en 1996, le locataire en place bénéficie d'un droit de priorité pour la relocation de son lot de chasse, qui peut faire l'objet d'une convention de gré à gré.
- Exercice du droit de chasse : selon la loi locale du 7 février 1881, incorporée au Code de l'environnement, il est retiré au propriétaire foncier (sauf domaine d'une superficie supérieure à 25 ha) et administré par la commune qui procède tous les 9 ans à des adjudications.
- Cahiers des charges départementaux : ils fixent les modalités techniques et de gestion de la chasse communale.
- Réparation des dégâts : il existe une procédure particulière, qui est entièrement à la charge des chasseurs.
Les Associations :
- Loi du 1er juillet 1901 : elle n'est pas applicable aux associations ayant leur siège en Alsace-Moselle, celles-ci sont soumises aux articles 21 à 79 du Code civil local et à la loi d'Empire du 19 avril 1908. On parle d'associations "inscrites" au registre des associations et non pas d'associations "déclarées" en Préfecture, comme dans le reste de la France.
- Statuts : ils doivent être signés par 7 membres au moins. Ils sont déposés au greffe du tribunal d'instance. Le juge d'instance procède à une vérification formelle. Le préfet dispose d'un délai de 6 semaines pour s'opposer à l'inscription si l'association est illicite ou son objet contraire à l'ordre public, aux lois pénales ou aux bonnes moeurs. Du fait de l'inscription sur le registre tenu au tribunal d'instance, l'association acquiert la pleine capacité juridique et peut même poursuivre un but lucratif, c'est-à-dire prévoir le partage des bénéfices entre les membres.
La Publicité Foncière :
- Organisation : à la différence du reste de la France, où elle est régie par la Conservation des Hypothèques dépendant du Ministère des Finances, elle est assurée par le Livre foncier, tenu par un magistrat spécialisé et relève du Ministère de la Justice.
- Inscription au Livre foncier : elle emporte présomption simple d'existence d'un droit de propriété en raison du contrôle exercé par le juge du Livre foncier.
- Consultation : la consultation directe des registres, dont les feuillets indiquent la situation juridique complète de chaque immeuble, est possible par toute personne justifiant d'un intérêt légitime.
- Informatisation du Livret foncier : une loi du 29 avril 1994 a autorisé la création d'un Groupement d'intérêt public, le GILFAM, basé à Colmar, qui est chargé d'informatiser le Livre foncier. La loi du 4 mars 2002 adapte le droit local de la publicité foncière à l'informatisation.
La Justice :
- Tribunaux d'instance : ils disposent de compétences plus étendues (tenue de registres, importance des fonctions gracieuses, certificat d'hériter, compétence d'attribution en matière civile et commerciale, contrôle de l'exécution forcée immobilière).
- Tribunaux de Commerce : ils sont remplacés par une chambre spécialisée du Tribunal de Grande Instance, présidée par un magistrat professionnel, assisté de deux assesseurs qui sont des commerçants élus pour 4 ans.
- Emoluments des avocats et frais de justice : ils sont régis par des dispositions spécifiques.
- Avoués auprès des Cours d'appel : ils n'existent pas et les avocats doivent choisir de postuler soit devant le Tribunal de Grande Instance, soit devant la Cour d'appel.
- Charges des notaires et des huissiers : elles se caractérisent par leur non-vénalité et l'absence de droit de présentation. Une commission sélectionne trois candidats parmi lesquels le Garde des Sceaux choisit un nom.
- Faillite civile : les particuliers, qui ne sont ni commerçants, ni artisans, ni agriculteurs peuvent se voir appliquer la loi commerciale sur le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises s'ils sont en état d'insolvabilité notoire (situation durablement et irrémédiablement compromise).
Le Droit Communal :
- Une grande autonomie : le droit local est marqué par un plus grand respect des libertés communales. Bien que les lois de décentralisation de 1982 aient allégé le contrôle exercé sur les actes des communes, les communes d'Alsace et de Moselle continuent à bénéficier d'une autonomie plus grande. L'essentiel des dispositions sont actuellement reproduites dans le Code général des collectivités territoriales.
- Règles de fonctionnement du conseil municipal : elles concernent la périodicité des réunions, la démission d'office d'un conseiller municipal pour défaut d'assiduité ou pour troubles répétés à l'ordre des séances...
- Règles particulières d'urbanisme : les communes ont la possibilité de répercuter sur les riverains les frais de premier établissement des voies ("taxe de riverains").